Hier fut une journée particulièrement instructive pour moi. J'ai participé à une conférence à l'Assemblée Nationale dans le cadre du Projet de Loi Finance Rectificative 2015 abordant les sujets "Quelle fiscalité et quel financement pour les entrepreneurs en 2016 ? Quelle réforme pour les scale-up ?"
Quand je dis "participé", il s'agissait en effet à la fois d'écouter et de partager mon retour d'expérience.
Le sujet a été fort bien cerné par un démographe des entreprises - jusqu'à ce jour, j'ignorais que ce métier existât, et ce n'est pas la seule chose que j'ai apprise...
"Aucune société du CAC 40 n’a moins de 40 ans. Un tiers des grandes sociétés cotées américaines a moins de 40 ans !
Aux USA, ils ont créé 4 GAFA en 20 ans parmi 500.000 entreprises avec salariés par an, soit 10.000.000 d’entreprises créées pour réussir à créer 4 géants en 20 ans. En clair, il faudrait 2.500.000 de jeunes pousses pour que la France crée un seul géant. Or, en France nous créons 25.000 entreprises par an (celles avec plus d’un salarié, pas des holdings, des SCI, des autoentrepreneurs …) il nous faudrait donc environ un siècle pour avoir une GAFA !"
Une logique digne des shadoks !
Ceci étant posé, quel plaisir d’être sélectionné pour illustrer l’entreprise qui a un track record en levée de fonds ! J'en retiens 3 impressions :
- C’est dans le regard des autres que l'on s'aperçoit que, oui, c'est vrai, finalement il n’y a pas 10 acteurs possibles dans le SaaS e-Commerce qui aient levé 10M€, utilisé des instruments financiers comme les obligations convertibles, acheté 3 autres entreprises dans 3 pays différents, disposant d'une réelle présence hors de France - à ce jour, 25% de notre CA, et pas seulement une « intention de s’internationaliser ».
Pour le dire simplement, l'effet miroir n'est pas désagréable. - Je suis particulièrement impressionné par la qualité des rapporteurs, députés et sénateurs. Ils connaissent le sujet sur le bout des doigts, sont conscients des rédactions ubuesques qui sont ultérieurement adoptées … mais que faire ?
Un de mes voisins a bien résumé le paradoxe : « ces élus, c’est TopGun, le problème c’est quand ils se retrouvent en séances, d’autres bien moins compétents, mais souvent plus influents - ou influencés, tordent les amendements jusqu’à les rendre au mieux illisibles, au pire inapplicables ». Mais c’est le jeu de la démocratie, non ? - A défaut d'être député, je suis assez dépité par les situations parfois ubuesques dans lesquelles nous nous trouvons.
Par exemple :
- Sur les trois fiscalité (consommation, revenu, et capital) et en moyenne, nous sommes un peu en dessous des autres pays d’Europe sur la fiscalité de la consommation (la TVA), à peu près au même niveau sur le revenu (ce qui ne signifie pas qu’il soit réparti aussi équitablement que dans d’autres pays), et infiniment plus haut en fiscalité du capital en particulier à cause de l’ISF.
- Il ne faut pas toucher à l’ISF-tabou, alors on invente des niches pour adoucir ses dérives, avec la loi TEPA et le financement des entreprises de croissance.
Mais l’Europe, maline, souligne que ce sont là des formes de subventions faites par l’état français aux entreprises.
Or, la fiscalité est « tunnelisée» - là encore, j'ignorais ce terme, pour moi un tunnel est en général de conversion - ce qui signifie que l’Europe se moque qu’on rende de la main gauche ce que l’on a pris de la droite (ou l’inverse).
L’Europe limite donc à 2,5M€ par an le montant levé par entreprise.
Cela peut vous paraitre énorme, mais le fait est que quand vous parvenez à lever 2,5M€, vous êtes déjà dans le rouge de 500K€ à la banque, donc sur les 2,5 il en reste 2. Sur ces 2 vous allez en dépenser 1 pour accélérer votre croissance et quand il en restera un seul à la banque vous serez debout sur les freins en vous demandant comment, et si, vous allez lever les 2,5 suivants…
C’est très clairement ce qui fait la différence entre Oxatis qui lève 10 millions en 3 fois et réalise 40% de croissance annuelle, et nos confrères américains qui lèvent 150 en 3 fois... et font 100% de croissance par an.
A terme, ils créent 700 emplois quand nous en créons 100 (ce qui n’est déjà pas mal !). - Revenons à l’exemple, donc on ne supprime pas l’ISF, on créé une industrie de la levée de fond ISF (les fonds d’investissements ISF qui collectent les fonds auprès de particuliers préférant investir plutôt que de payer l’impôt), on met des bâtons dans les roues des entreprises qui n’arrivent pas à lever de sommes assez fortes car investir moins de 2,5M€ porte une incitation fiscale qui diminue drastiquement le risque, donc personne ne veut investir des paquets de 5 ou 10M€ sans pouvoir adoucir le risque.
Donc me direz-vous, il suffit de supprimer l’ISF ! Et bien le pire est à venir.
Un député dont le bord est évident soulignait « et si l’on supprime l’ISF - ce pour quoi je milite - les fonds d’investissement seront les premiers à venir nous dire qu’il ne le faut pas, car on va détruire leur industrie !»
Ça ressemble aux 35 heures avec les heures supplémentaireS défiscalisées ou l’on créé des usines à gaz pour ne pas abolir des idioties.
Bref on a quand même l’art en France de rédiger des lois qui génèrent des effets de bords considérables (pour être courtois) et ensuite des députés et sénateurs brillants rament de toutes leurs forces pour en adoucir les effets néfastes.
On pourrait vraiment faire évoluer notre pays s’ils pouvaient mettre leurs compétences, et leur fantastique énergie au service de projets simples et directement productifs. Je ne suis pas le premier à le dire, mais le toucher du doigt permet de comprendre bien des choses !
Mais tout n'a pas été négatif. Loin de là ! Il y a même eu quelques points très positifs.
- Pour commencer, j'envie les jeunes pousses d’aujourd’hui et tous les outils dont elle disposent. Accélérateurs, pépinières, angels, crowdfuding, etc. J’avoue que j’aurais bien aimé disposer de toutes ces possibilités lorsque j’ai créé Oxatis et mes précédentes entreprises.
- Je le répète à nouveau, je suis vraiment impressionné par le professionnalisme des députés et sénateurs impliqués sur ces sujets.
Ils sont de tous bords mais surtout ils travaillent de conserve pour faire en sorte que les mesures décidées survivent aux alternances. Bref, quels que soient les choix politiques de la Nation, ils travaillent à assurer aux entreprises une bonne continuité et une bonne visibilité. Ça fait plaisir ! - Ce long billet parle beaucoup d’argent, mais soyons réalistes c’est bien le nerf de la guerre, et plus encore dans l’innovation.
Je dis souvent que l’industrie du site marchand ressemble à l’industrie automobile du début du siècle dernier. En effet, il n’est pas un diner auquel j’assiste durant lequel quand un convive me questionne sur mon métier et que je réponds modestement que je construis des sites marchands, un autre ajoute « moi aussi ».
Là où cela devient embarrassant c’est quand un troisième convive demande « tu en fais combien par an » et que la réponse est 4 par an d’un côté, et 4 000 par an pour moi. En fait nous ne faisons pas le même métier, l’un est garagiste (et il y en a de très bons !), l’autre est constructeur.
Au début du 19ème siècle, il y avait des centaines voire des milliers de garagistes et il a fallu un siècle pour consolider les Renault, les Berliet, les Talbot, Delaye, Bugatti … en une dizaine de grands constructeurs mondiaux.
Aujourd’hui il reste 4 grands constructeurs SaaS dans le monde de l’e-commerce : 3 américains, et un européen : Oxatis.
Cela n’a pris que 10 ans. Bien entendu, sans vouloir leur faire offense, il reste plein de « petits » constructeurs locaux.
Puisque nous en sommes à l'heure des confidences, ces chiffres vont vous éclairer : chez Oxatis, nous dépensons en R&D le double du chiffre d’affaires de notre principal concurrent français. Le leader mondial lui, dépense en R&D le double du chiffre d’affaires d’Oxatis. Cela illustre très clairement le besoin en financement !
Mais gardons espoir, il n’y a pas que l’argent qui compte. Quand j’avais 20 ans, IBM régnait en maître sur l’industrie informatique et son bénéfice annuel était supérieur au chiffre d’affaires de son premier concurrent. La roue a tourné. Plusieurs fois, même.
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